
Se reconnecter à son corps après un trauma
Lorsqu’on a survécu à des traumas, se reconnecter et revenir à son corps peut sembler impossible. Entre souvenirs douloureux et sensations insoutenables, le corps devient parfois une enveloppe que l’on cherche à fuir.
Licia Sky, thérapeute corporelle et cofondatrice de la Trauma Research Foundation, nous éclaire avec douceur et bienveillance sur ce que signifie revenir à soi après le trauma, et pourquoi l’accompagnement bienveillant est essentiel sur ce chemin.
Découvrez ci-dessous un extrait de sa conférence “Favoriser la relation à Soi et la guérison par la conscience incarnée” donnée lors du Sommet Trauma, Attach(e)ment & Resilience 2024 organisé par Quantum Way.
Émotions enfouies et douleurs physiques : le corps comme lieu d’évitement
Le traumatisme psychique impacte la relation au corps et aux émotions. Après un trauma, il est courant de vouloir fuir le présent, le passé et son propre corps, parfois en se dissociant. On craint souvent que ressentir ne serait-ce qu’une petite partie de la douleur puisse nous submerger et devenir incontrôlable. Il est difficile de revenir dans son corps, car cela implique de ressentir des émotions douloureuses accumulées.
Licia Sky compare nos émotions à une palette restreinte : dans notre société, seules certaines d’entre elles sont tolérées (joie ou tristesse discrète), ce qui nous pousse à réprimer une grande partie de nos ressentis (comme la colère, la peur intense ou la détresse profonde) pour les laisser enfermées dans le corps.
En conséquence, beaucoup de personnes grandissent avec une palette émotionnelle limitée, comme si l’on ne pouvait peindre la vie qu’avec trois couleurs. Pourtant, toutes les émotions ont leur place, et surtout, elles vivent dans le corps. Et lorsqu’elles ne peuvent pas s’exprimer, elles s’accumulent. Elles créent des tensions, des douleurs et une surcharge intérieure.
Il s’agit donc d’un véritable malaise interne vécu par les personnes en situation de traumatisme. Ce refoulement rend l’expérience du corps encore plus difficile, parfois insupportable. Peut en découler la fuite, la dissociation, la rupture des liens : rester à distance serait la seule manière de survivre, de rester en sécurité.
Comprendre la peur du débordement émotionnel
Licia Sky décrit un sentiment fréquent chez les survivants de traumas : la peur de l’envahissement émotionnel. Beaucoup pensent que s’ils commencent à ressentir, ils ne pourront plus s’arrêter. L’idée même de ressentir une petite partie de la douleur peut sembler insupportable. Que ce qu’ils vont trouver en eux est trop lourd, trop intense, trop dangereux. Ou pire encore : qu’il ne vont rien trouver à part le vide, le néant. Et que ce rien serait la preuve qu’ils sont irrécupérables et “cassés” pour de bon.
Cette peur est normale. Elle est le reflet d’une expérience émotionnelle marquée par l’insécurité et la solitude. C’est pourquoi la présence d’un accompagnant fait toute la différence. Un thérapeute, un soutien solide, capable d’être là sans peur. Quelqu’un qui ne cherche pas à réparer, mais seulement à être là, à accompagner et à croire en la résilience de l’autre.
De l’importance d’être accompagné pour se retrouver
Être accompagné est essentiel lorsqu’on tente de se reconnecter à soi, un accompagnant pouvant offrir soutien et sécurité. Licia Sky compare ce processus au rôle d’une sage-femme lors d’un accouchement, un moment difficile rendu supportable grâce à la présence et au soutien d’une personne de confiance, qui n’a pas peur de la douleur ou de l’inconfort et qui aide à traverser des moments émotionnellement intenses.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’ouvrir d’un coup toutes les blessures. Il s’agit d’y aller lentement, avec curiosité, en prêtant attention à son corps et à ses réactions (rythme cardiaque, respiration, tension musculaire) : que se passe-t-il dans ma respiration ? Dans mon ton de voix ? Dans mes épaules ou mon visage ?
La curiosité et la bienveillance envers soi-même, encouragées par l’accompagnement, facilitent cette exploration intérieure. La posture de l’accompagnant est ici d’offrir également patience et non-jugement, essentiel pour installer un climat sécurisant pour l’introspection.
Ce type d’approche corporelle permet à la personne de reconstruire une relation avec elle-même, en sécurité. Et peu à peu, elle découvre qu’au-delà de la douleur, il y a autre chose : la capacité d’aimer, d’être aimé·e, de ressentir de la joie.
Licia Sky explore une question centrale du travail de guérison après un traumatisme psychique : comment revenir à son corps quand tout en nous cherche à en sortir ? Beaucoup de survivants de traumas sont coupés d’eux-mêmes et le fait d’ignorer leurs émotions peut générer de la tension et de la douleur physique. Pourtant, cette reconnexion au corps est essentielle.
Licia Sky invite à ne pas faire ce chemin seul·e : être accompagné par une personne bienveillante, capable de contenir la douleur, change tout. Ce qui aide, c’est la présence sans peur de l’autre, son ancrage et sa confiance dans le processus. Elle insiste sur la progressivité : il ne s’agit pas d’ouvrir la boîte de Pandore d’un coup, mais d’approcher doucement, en observant ses sensations (respiration, tension, voix…).
Licia Sky est musicienne, éducatrice somatique et thérapeute corporelle. Elle propose une approche intégrative mêlant mouvement, expression vocale, conscience corporelle et travail relationnel. Son objectif est d’aider chacun à reprendre contact avec son corps, à libérer les tensions liées au stress post-traumatique et à développer un sentiment de sécurité intérieure.
Elle est cofondatrice de la Trauma Research Foundation et intervient depuis de nombreuses années aux côtés du Dr Bessel van der Kolk dans l’accompagnement des personnes survivantes du trauma.
Durant deux jours intensifs, alliant théorie, pratique et neurosciences, vous plongerez au cœur des mécanismes du trauma et découvrirez des moyens concrets d’en favoriser la guérison.