Bessel van der Kolk : le trauma impacte tout

Le trauma ne se résume pas à l’événement traumatique : pour Bessel van der Kolk, l’enjeu n’est pas seulement de “raconter” avec des mots mais de comprendre ce que l’expérience traumatique fait au cerveau, au système nerveux et au corps, puis de créer des expériences correctrices, en sécurité, qui permettent l’intégration.

Dans cet épisode des Chroniques Quantum Way sur le trauma, Bessel van der Kolk revient sur la complexité du phénomène traumatique, les apports des neurosciences et l’intérêt des méthodes expérientielles (EMDR, yoga, théâtre, neurofeedback…) qu’il explore depuis des décennies, avec une constante : rester curieux, non dogmatique et observer ce qui aide réellement les patients.

Pourquoi parler de trauma aujourd’hui ?

D’entrée de jeu, Bessel van der Kolk rappelle la difficulté intrinsèque du sujet : “L’esprit humain et la condition humaine sont des choses très difficiles à étudier… Nous sommes des créatures très complexes”, capables à la fois d’une “immense générosité” et “d’une grande capacité de destruction”. La clinique du trauma pose donc des questions exigeantes.

Cette complexité explique qu’aucune approche isolée ne soit suffisante. Le trauma se manifeste par des réactions automatiques (peur, rage, figement), des difficultés attentionnelles, une hypervigilance corporelle ; tout l’enjeu est d’aider l’organisme à différencier le passé du présent et à retrouver des appuis sensoriels stables pour agir au lieu de réagir.

Quand la régulation précède la compréhension

Bessel van der Kolk insiste sur le fait qu’avant de mettre des mots sur le trauma et l’événement, il faut souvent réguler mieux.

“Quand on est traumatisé, on vit dans un monde intérieur très confus et très déroutant… [on] n’est pas capable de prêter attention” : c’est la peur ou la colère qui prend le dessus. Et lorsque l’organisme est en alerte, l’attention se fragmente et la parole n’aide pas toujours.

L’objectif prioritaire est donc d’apaiser le système nerveux. Une fois la physiologie stabilisée, les informations deviennent traitables et la compréhension revient, on peut alors distinguer ce qui se passe maintenant de ce qui s’est passé.

Ce renversement pragmatique (apaiser, puis comprendre) structure l’ensemble du travail de Bessel van der Kolk : la régulation physiologique (respiration, mouvement, rythme, voix, attention interoceptive) crée les conditions pour que la parole, les prises de conscience et la mémoire autobiographique puissent, ensuite, s’intégrer.

Des pratiques qui fonctionnent : EMDR, yoga, neurofeedback…

Un des fils rouges de l’interview est le suivant : ne pas s’enfermer dans une école, une méthode, une façon d’accompagner.

“Il est très important de dire : ce que je fais là ne fonctionne pas… et ensuite d’aller chercher : qu’est-ce qu’il y a d’autre qui pourrait fonctionner ?” Bessel van der Kolk regrette la tendance de certains thérapeutes à devenir adeptes exclusivement d’une méthode, au lieu de rester focalisés sur comment faire en sorte que leur patient aille mieux.

Concrètement, depuis 40 ans, son équipe a fait beaucoup d’études différentes sur le yoga, l’EMDR, le théâtre et différentes interventions pour les enfants :

◆ EMDR : utile pour retraiter des souvenirs traumatiques et en atténuer la charge somatique ;

◆Yoga et approches somatiques : augmentent la conscience corporelle, soutiennent l’auto-apaisement et la tolérance aux sensations ;

◆ Théâtre, mouvement, jeu : réintroduisent la sécurité, la synchronie et l’expressivité ;

◆Neurofeedback : entraînement attentionnel et émotionnel qui aide le système nerveux à sortir des extrêmes (hyperactivation / hypoactivation).

Au-delà du “quoi”, il ne faut pas oublier le “comment” et “avec qui” : en sécurité relationnelle, à un rythme adapté, avec des micro-expériences tolérables sur le plan corporel qui reconfigurent les systèmes d’alerte et de régulation.

De la théorie à la pratique

Si raconter son histoire peut aider, cela ne suffit pas toujours ; tant que le corps reste organisé autour d’anciennes menaces, les mots n’aident pas à intégrer. La pratique guidée (respiration allongée, ancrage des pieds, main posée sur une zone de tension, vocalisations douces, balancements rythmés, etc.) donne une forme de contrôle au patient : l’intéroception s’affine et la fenêtre de tolérance augmente.

En séance, cela implique :

◆ D’observer et suivre la physiologie du patient (rythme respiratoire, tonus, regard),

◆ D’alterner explication et expérimentation (quelques minutes de pratique suffisent),

◆ De ritualiser des retours à la sécurité (pauses, appuis sensoriels, co-respiration),

◆ De respecter la capacité d’agir du patient : c’est le corps du patient qui décide du dosage.

L’axe éthique proposé est clair : rester curieux, mesurer les effets et ajuster. “Je ne connais pas toutes les choses qui ont été inventées, je ne peux pas toutes les connaître”, dit Bessel van der Kolk ; d’où la nécessité d’explorer et d’admettre quand cela ne fonctionne pas.

Cette posture a nourri la création du Trauma Center puis, plus tard, la poursuite des travaux et des recherches au sein de la fondation. L’orientation reste la même : multiplier les portes d’entrée vers la sécurité intérieure, pour que la personne puisse redevenir actrice de ses choix et de ses liens.

Les conseils de Bessel van der Kolk aux thérapeutes et au grand public

Pour les praticiens, il est essentiel de commencer par travailler à sa propre régulation et sa posture : la présence du thérapeute modélise la sécurité. Il appartient également aux thérapeutes de s’outiller de pratiques somatiques (respiration allongée, ancrage, voix, mouvement rythmique) à insérer entre deux temps de parole ou à proposer en pratique à la maison. Et, surtout, d’éviter le dogmatisme : choisir l’outil qui marche pour ce patient, ici et maintenant.

Au grand public, Bessel van der Kolk conseille d’apprendre à reconnaître les états récurrents (signaux d’alerte, micro-tensions, confusion attentionnelle). La création de rituels corporels courts, répétés et agréables est également bénéfique pour s’apaiser (respirer plus longuement à l’expiration, mobiliser la voix douce, marcher en synchronie avec un proche, pratiquer un yoga accessible).

Il encourage également à ne pas rester seul (proche, groupe, thérapeute) car la présence de l’autre et l’accordage relationnel facilitent la régulation. Enfin, il peut être nécessaire d’admettre que tout ne fonctionne pas pour tout le monde et, en ce sens, de rester curieux et persévérant.

Parce que comprendre le trauma ne suffit pas ; il faut aussi savoir l’accueillir. Et, en tant que thérapeute, cela implique de s’offrir l’espace d’une régulation profonde et ancrée. C’est ce que propose de partager avec nous Bessel van der Kolk et Licia Sky : une expérience immersive, régulatrice, co-animée par des figures majeures du trauma psychique.

Retrouvez Bessel van der Kolk les 16 et 17 septembre prochains
pour un événement unique en France