
Guérir ensemble du trauma racial : IFS et communautés thérapeutiques inclusives, avec Deran Young
Le trauma n’est pas seulement une blessure intérieure ou individuelle. Pour beaucoup, il est aussi l’héritage d’une histoire, d’un système, d’un vécu communautaire. Dans le deuxième épisode de la saison 3 des Chroniques Quantum Way, nous avons rencontré Deran Young à Oxford. Thérapeute IFS (Système Familial Intérieur) et fondatrice du réseau Black Therapists Rock, elle milite pour une approche du trauma qui intègre les dimensions raciale, sociale et collective.
Un épisode fort, engagé et lumineux, dans lequel elle partage avec nous son parcours personnel et professionnel, sa vision de la guérison et son appel à revisiter la pratique thérapeutique à travers le prisme des injustices systémiques.
L’identité comme point de départ de la guérison
Le parcours de Deran Young commence par une prise de conscience : “Pendant très longtemps, je ne me suis pas autorisée à parler en tant que femme noire.” Issue d’un environnement dans lequel il était vital de se suradapter pour survivre, elle raconte comment elle a appris à taire sa voix, à gommer ses spécificités culturelles, à s’adapter aux attentes implicites du monde thérapeutique.
Cette adaptation forcée est une forme de dissociation collective. Beaucoup de personnes racisées vivent un exil intérieur : elles doivent mettre de côté des parties entières de leur identité pour être acceptées ou simplement entendues. Pour Deran Young, guérir passe d’abord par une reconquête de soi. Revenir à son identité, l’honorer, l’intégrer dans le processus thérapeutique, devient un acte politique et libérateur.
Trauma racial : ce que la thérapie doit reconnaître
Dans l’approche IFS, chaque être humain est composé de “parties”, des aspects de soi qui ont été blessés, exilés ou qui se sont suradaptés pour survivre. Deran Young applique cette lecture aux dynamiques raciales et sociales. Dans les communautés minorisées, ces parties peuvent se construire autour de la honte, de la colère ou d’un faux-self adopté pour répondre à la pression du racisme systémique.
Mais la plupart des approches thérapeutiques classiques n’abordent pas ce trauma racial. Trop souvent, on réduit le trauma à des événements isolés, en occultant les structures sociales dans lesquelles ils s’inscrivent. Pour Deran Young, il est indispensable que les professionnels de santé mentale intègrent cette perspective : le racisme est un traumatisme. Et il appelle des pratiques spécifiques de reconnaissance, de réparation et de soin.
Guérir avec l’IFS : accueillir toutes les parties
C’est dans l’IFS que Deran Young trouve une clé majeure pour ce travail de réparation intérieure. En effet, le modèle de Richard Schwartz permet de mettre en lumière les différentes parties en soi, celles qui ont été blessées, rejetées, exilées, et de leur offrir un espace d’écoute et de soin.
Mais pour les personnes racisées, certaines parties sont invisibles ou rejetées depuis si longtemps qu’elles ont besoin d’un cadre thérapeutique encore plus sécurisant. Le Self (cette énergie de calme, de clarté et de compassion au cœur du modèle IFS) devient alors un espace refuge, un lieu d’accueil et de transformation.
Le travail de Deran Young consiste à créer ces espaces thérapeutiques où les patients peuvent explorer leur identité sans se dissocier, et où les thérapeutes eux-mêmes font un travail de prise de conscience de leurs propres parties : celles qui évitent les sujets sensibles, qui sur-adaptent ou qui n’ont jamais eu à faire face à une oppression systémique.
Une approche collective de la guérison
Deran Young insiste : “Le trauma n’est pas qu’individuel. Il est aussi collectif.” Et à ce titre, la guérison ne peut pas être qu’individuelle non plus.
Fondatrice du mouvement Black Therapists Rock, elle s’est donné pour mission de créer des communautés thérapeutiques inclusives, solidaires, dans lesquelles les professionnels racisés peuvent se sentir soutenus, représentés et outillés.
Elle milite pour une thérapie qui reconnaît les injustices systémiques, qui s’ouvre à la culture, à la spiritualité, au collectif. La posture thérapeutique doit évoluer. Elle doit s’ancrer dans une compréhension des dynamiques systémiques et s’ouvrir à des pratiques